Chapitre 3 : Celles et ceux qui inventent

Projets innovants déployés sur le territoire régional. Leviers d’inspiration pour l’ensemble des acteurs économiques

Celles et ceux qui inventent

Par petites touches, une nouvelle économie germe sur notre terri- toire. Les personnalités que nous mettons ici en lumière montrent que l’on peut entreprendre en prenant les problèmes à la racine. Traiter les causes plutôt que les symp- tômes, « décompacter la tête avant de décompacter le sol », selon la formule de l’agriculteur-entrepre- neur Vincent Seyeux. Lui, a porté un regard nouveau sur son métier, en ciblant la préservation des sols. D’autres, comme Nils Joyeux, ambitionnent de révolutionner le transport maritime. D’autres encore, comme Claire Nidjam, veulent standardiser la consigne alimentaire

Il y a quelques années, nous aurions haussé les épaules en considérant leurs sympathiques trajectoires. Les conditions sont désormais réunies pour les prendre au sérieux. Car de l’utopie, ces femmes et ces hommes ont fait une réalité entrepreneuriale. Avec des impacts mesurables, c’est leur mission première. Avec des modèles économiques qui tiennent debout, une condition sine qua non.

Avec des emplois qui font sens, que de- mander de mieux ? Avec, enfin, au cœur de leur démarche, la capacité à bâtir des coopérations pour relever des défis qui dépassent le péri- mètre de leur projet.

Ces talents révèlent les potentialités de création de valeur(s) du territoire : économique, sociale, écologique. Ce faisant, ils dessinent un nouveau standard de l’entrepreneuriat. Pour que l’économie au service du vivant devienne la norme, et non l’exception.

Des entreprises au service du vivant

Les entreprises que nous présentons ici combinent innovation technique et sobriété matière et énergétique.
Elles explorent de nouveaux modèles d’affaires, participent à l’émergence de nouvelles filières. Elles s’emploient à circulariser fortement les ressources, à préserver le climat, à restaurer les sols. Les femmes et les hommes qui les dirigent ont choisi de s’engager pour tenter de relever les défis de la résilience, en entreprenant au service du vivant, directement ou indirectement.


3 questions à Nils Joyeux

Nils Joyeux est co-fondateur de Zéphyr et Borée, une compagnie maritime spécialisée dans l’armement de navires bas-carbone et pionnière du transport à la voile moderne.

1/ Qu’est ce qui fait 120 mètres de long et est équipé de 4 voiles articulées ?

Nils Joyeux – C’est Canopée, le premier cargo à voile moderne développé pour les besoins d’Ariane Group. Ce cargo transportera le lanceur Ariane 6 depuis l’Europe continentale vers la Guyane française, où se trouve le Centre spatial guyannais.

2/ Pourquoi avoir équipé un cargo avec des voiles ?

NJ – Le vent est une énergie abondante et renouvelable, nos ancêtres l’ont utilisé avant nous pour transporter des marchandises. Le commerce maritime est fortement émetteur de gaz à effet de serre. L’utilisation des voiles permet de réduire les consommations de carburant. Pour le cargo développé pour Ariane Group, la part de propulsion éolienne pourrait atteindre entre 15 et 40% selon la vitesse ciblée et la saison, ce qui représente une diminution de carburant d’environ 4 700 litres par jour.
C’est en développant ce type de navires que nous pourrons parvenir à réduire les émissions de gaz à effet de serre générées par le commerce maritime.

3/ Quelles sont les conditions de succès pour la suite du projet ?

NJ – Le cap ! Disposer de visibilité à long terme sur l’évolution du marché est clé. A titre d’exemple, l’Organisation Maritime Internationale s’est donné pour objectif de réduire, en 2050, de 50% les émissions de gaz à effet de serre du commerce maritime. Cela a créé un appel d’air pour la filière naissante des cargos à voile. Mais pour atteindre les objectifs de décarbonation, il est important que la rupture technique que l’on propose s’ac- compagne par le ralentissement de la vitesse des bateaux. Cela implique d’accepter que la vitesse des flux d’échanges entre pays soit réduite. Par voie de conséquence, cela nécessite une évolution des modèles d’affaires du commerce mari- time. C’est également de cette manière que peut se dessiner un futur qui rompt avec une société d’hyper consommation.


Le pari de la consigne alimentaire

La consigne fait son grand retour en force. Objectif : remplacer des barquettes alimentaires souvent fabriquées en plastique ou carton, ou réduire le recours au recyclage des bouteilles en verre.

Célie Couché est fondatrice de Bout à Bout, association engagée dans la réduction de l’impact environnemental des bouteilles en verre. Bout à Bout propose leur réemploi comme alternative au recyclage. La démarche est un succès. Elle a permis la création, en 2022, de l’entreprise Ouest Consigne. Celle-ci a finalisé une levée de fonds pour densifier le réseau de partenaires engagés dans le réemploi – producteurs de boissons, réseau de distribution et de collecte – et investir dans un site de 2500 m2, avec une capacité de lavage de plus de 15 millions de bouteilles par an.

Claire Nijdam est cofondatrice de Berny. L’entreprise développe une solution de réemploi des contenants alimentaires auprès des enseignes de la grande distribution et des industriels de l’agroalimentaire. Avec ses contenants en inox, Berny prend le contrepied des modèles d’affaires classiques. « L’impératif de standardisation est au cœur du projet », explique la cofondatrice. « Si l’emballage est standardisé et que tout le monde utilise le même, nous pouvons optimiser les boucles logistiques au mieux avec un gain environnemental le plus élevé possible. » Le choix de l’inox n’est pas le fait du hasard. « Notre matériau est composé à 80% de matière recyclée et recyclable à 100%. L’empreinte matière est ainsi réduite au strict nécessaire ».
Pour Claire Nidjam, le déploiement des solutions consigne dépendra de l’organisation de la livraison et de la collecte des points de distribution. « Livrer et collecter les entrepôts plutôt que les magasins permettrait de réduire le nombre de camions que l’on met sur les routes. Ce serait également des frais en moins pour les magasins qui pourront mutualiser les frais de collecte. » La coopération entre acteurs de la filière et les territoires est la clé du succès.

Bout à bout
Objectif : assurer le lavage et la collecte de 2 millions de bouteilles en 2023, en s’appuyant sur un réseau de distribution et de collecte densifié.
Berny
« Si l’emballage est standardisé et que tout le monde utilise le même, nous pouvons optimiser les boucles logistiques au mieux avec un gain environnemental le plus élevé possible. »

Les matériaux biosourcés : l’espoir d’une construction décarbonée ?

Chanvre, terre crue, paille… Naturelles et — presque — renouvelables, ces ressources se font une place dans la construction et l’isolation des bâtiments. L’usage de ces nouveaux matériaux suffira-t-il à décarboner la filière, sans pression excessive sur les ressources renouvelables ?
Eléments de réponse.

Nicolas Oudhoff est ingénieur de formation. Passé par la rénovation de bâtiments anciens, il s’est formé à la construction en terre crue et s’est intéressé au matériau paille. Il développe son utilisation dans la construction.
L’entreprise Isol’en Paille a été lancée dans cet objectif. Elle assure le conditionnement de la paille collectée auprès d’exploitations agricoles sous forme de bottes. Le matériau est issu d’un gisement abondant : 30 millions de tonnes sur l’ensemble de la France. L’utilisation de la paille — coproduit de la culture du blé — comme isolant permet de valoriser une biomasse accessible localement, souvent dans un rayon de 250 kilomètres. Il présente également l’intérêt de stocker du carbone issu de la pousse du blé. Il évite le recours à des matériaux dont la fabrication est énergivore et polluante, comme la laine de verre, difficilement recyclable et dont la fabrication est issue de procédés pétrochimiques.

Perspective sur les matériaux biosourcés

Le potentiel de développement de matériaux biosourcés est manifeste, avec des emplois à la clé. Mais comme pour tout matériau, la sobriété est de mise. Parmi les enjeux :
– un approvisionnement aussi local que possible afin de minimiser les flux logistiques
– le risque de compétition avec d’autres usages, telles que l’alimentation humaine,
la production alimentaire (la paille est par exemple utilisée pour la litière animale et constitue également un amendement pour les sols)
– privilégier la logique du co-produit agricole, éviter les cultures dédiées
– développer des matériaux en lien avec les cultures présentes sur les territoires…
– …et anticiper l’adaptation des cultures aux changements climatiques

Quand l’agriculture restaure les sols

S’adapter à un climat qui change. Faire avec le vivant, pas contre lui. Tels sont les objectifs de Vincent Seyeux, agriculteur mayennais qui cultive 300 hectares sur différentes communes en Mayenne.

Converti à l’agriculture biologique depuis 2010, Vincent Seyeux a fait évoluer ses méthodes de culture. Il pratique une agriculture « de conservation » qui vise à restaurer la qualité des sols. « Travailler avec la nature nous rend énormément de services ». Tout au long de l’année des cou- verts végétaux sont semés afin de limiter l’érosion, augmenter la matière organique présente dans les sols après la fauche des couverts et retenir l’eau. Vincent Seyeux observe aujourd’hui des modifications de la structure du sol : « On a retrouvé des sols en très bon état, très poreux, plein de vie. Dès qu’on est en capacité de réduire le travail du sol on a un sol qui se gère tout seul, presque telle une prairie « . Il regrette que la PAC favorise si peu les modèles agricoles soignant le sol, indispensable à la fourniture d’une alimentation de qualité et à la préservation de la ressource en eau.

Outre son exploitation, Vincent Seyeux a cofondé la société Agro-Logic pour bâtir une unité de transformation de cultures biologiques. Celle-ci assure la récolte, le triage, le séchage et le conditionnement des produits et a conduit d’autres agriculteurs à cultiver des plantes telles que le quinoa ou les lentilles. « Avec une unité de transformation en Mayenne, la culture est gérée sur place et non à 160 kilomètres. Ce sont des économies pour les agriculteurs et du CO2 en moins ! ». Une centaine d’agriculteurs et agricultrices partenaires d’Agro Logic fournissent les établissements scolaires de Mayenne, de Loire- Atlantique et d’Ille-et-Vilaine.

Dès qu’on le travaille moins, on obtient un sol qui se gère tout seul, presque telle une prairie.

Vincent Seyeux, Agri-Logic

Zéro Artificialisation Nette

Zéro Artificialisation Nette (ZAN), c’est l’objectif promu par la France pour 2050 dans le Plan Biodiversité dévoilé en 2018 afin de réduire l’extension des espaces urbanisés. Un jalon intermédiaire, placé en 2030, vise la division par deux du rythme de consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers par rapport à la dynamique observée entre 2011 et 2020. Quatre ans après l’adoption de cet objectif, c’est pourtant son avenir qui est mis en cause. Une proposition de loi a en effet été adoptée par le Sénat pour apporter des correctifs. Conséquences ? L’augmentation du quota de surfaces à artificialiser avec notamment le principe de « garantie rurale » qui réserverait aux communes la possibilité d’urbaniser une surface équivalente à 1 hectare de la surface communale. C’est supérieur à la règle qui fixait initialement le quota à 1% des surfaces urbanisées.

Interview Thierry Lebeau

La reconquête de terres par la phytoépuration

Thierry Lebeau est professeur en sciences du sol à Nantes Université. Spécialiste de la pollution des sols, il a coordonné Pollusols, projet réunissant plus de cinquante chercheurs, pour étudier les pollutions diffuses de la terre à la mer, sur le bassin versant des Pays de la Loire.

De son passé industriel, la Loire-Atlantique a hérité de nombreux sols pollués. 23% d’entre eux sont localisés à Nantes, selon l’inventaire BASOL.

Ces pollutions sont-elles irréversibles ?

Thierry Lebeau — Non. La phytoremédiation – dépollution par les plantes – utilise des végétaux pour extraire ou éliminer les contaminants du sol. Certaines plantes sont notamment capables d’extraire des métaux lourds, lors de leur croissance. On sème les espèces les plus adaptées aux polluants présents dans le sol.

La forte pression démographique entretient un rythme soutenu de construction. Des friches industrielles pourraient être converties en zones d’habitation. Peut-on généraliser la dépollution de ces sols par les plantes ?

TL — Ce sera difficile, car cela prend du temps ! De 3 à 50 ans selon les sites, pour assurer une dépollution satisfaisante. Or ces durées sont le plus souvent incompatibles avec les contraintes de temps des aménageurs et promoteurs qui font pousser des bâtiments un an.

La solution privilégiée est l’excavation des terres polluées envoyées en installation de stockage de déchets (ISD). Mais cette solution n’est pas durable. D’une part, le transport de ces terres affiche un bilan carbone élevé lié à leur transport. D’autre part, une fois stockées en ISD, elles ne sont pas réemployées, car considérées comme des déchets. Pourtant le sol constitue une ressource non renouvelable – 95% de notre alimentation en dépend !

J’ai donc imaginé un concept de mur dépolluant végétalisé.

Comment cela fonctionne t-il ?

TL — Dans un premier temps, la terre polluée est excavée pour ne pas retarder le projet d’aménagement. Elle est stockée verticalement dans le mur ce qui réduit l’emprise foncière. Le mur est autoportant : il peut être adossé à des bâtiments, servir de mur de séparation entre propriétés, ou de mur anti-bruit le long de rues/routes. Ensuite, le mur est végétalisé. La végétalisation agit sur les polluants, permet d’améliorer l’esthétique paysagère, peut agir sur les îlots de chaleur, ou encore apporter de la biodiversité. Une fois dépolluée, la terre peut être réemployée localement, le mur étant démontable et réutilisable.

Comment définir un sol pollué ?

La pollution désigne la dégradation d’un écosystème par l’introduction d’entités extérieures — chimiques, phy- siques, biologiques — avec altération du fonctionnement de cet écosystème. Dans un département au riche passé industriel, tel que la Loire-Atlantique, de nombreuses activités de fonderie situées à proximité de la Loire ont en- gendré de lourdes contamination des écosystèmes. Certaines restent loca- lisées, à l’image du contenu d’une ci- terne qui se déverse et contamine le sol en contact. D’autres s’avèrent diffuses : sans danger à faible dose, c’est leur ac- cumulation dans le temps qui les rend nocives pour l’environnement.

95%
de notre alimentation dépend de notre sol.

Où vivra t-on demain ?

Loire-Atlantique et Vendée subissent déjà une forte pression foncière, particulièrement au sein de l’agglomération nantaise et sur la bande littorale. Selon les projections de l’INSEE, la région accueillera 436 000 nouveaux habitants à horizon 2070.

Nous avons besoin de terres agricoles, pour garantir une alimentation (plus) locale, d’espaces naturels pour absorber les chocs climatiques et stocker le carbone, de matériaux biosourcés pour réduire le coût carbone de la construction . La gestion du foncier est la clé-de-voûte de la résilience d’un territoire. Se pose alors la question de l’accueil des nouvelles populations. Quatrième région pour la surface du ter- ritoire artificialisée, les Pays de la Loire sont confrontés à une équation complexe à résoudre.

Pour Sébastien Maire, délégué général de France Ville Durable, la densification de la ville est un levier pour répondre au besoin de logements, tout en limitant l’artificialisation d’espaces naturels et agricoles, sur un territoire écologiquement dégradé. En clair, il s’agit d’intensifier les zones d’habitat ou d’activités existantes.

« Nous avons franchi des seuils écologiques. Nous devons nous interroger sur ce qu’il ne faut plus faire, voire abandonner des projets que l’on avait prévu de faire. Une des pistes consiste à optimiser l’habitat existant : recenser les logements disponibles, diagnostiquer l’état du parc et évaluer les possibilités de remises sur le marché. »

Sébastien Maire

Zéro Artificialisation Nette : le projet Eclosia Parc

C’était la friche d’un ancien lycée automobile. Ce sera un quartier d’habitations et de bureaux. À la Roche-sur-Yon (Vendée), Eclosia Parc proposera, en 2028, 550 logements et 5 500 m2 de bureaux. Le quartier se distingue par l’intégration des matériaux issus de la déconstruction de l’ancien lycée. Sur 11 000 m2 de bâtiments existants, 2 500 mètres carrés sont conser- vés pour le projet. Le reste est soigneusement déconstruit afin que les matériaux puissent être intégrés à d’autres projets ou stockés en matériauthèque. La structure Eiffel de l’ancien lycée tiendra ainsi lieu de charpente au futur tiers-lieu du quartier. Le projet met également en pratique des techniques de phytoremédiation en recourant à des espèces de plantes locales. Les terres polluées sont intégrées au paysage du quartier pour constituer le talus des futures parterres de haies bocagères.
« Nous n’avons plus le temps de faire des projets démonstrateurs », insistent Célia Mailfert, Responsable du pôle Carbone et Économie Circulaire chez Wigwam Conseil et Simon David, Directeur de Programmes, tous deux embarqués sur le projet pour le compte de leurs entreprises respectives. « Arrêter de déconstruire et faire avec l’existant, c’est une vraie rupture de paradigme pour l’économie de la construction qui n’est aujourd’hui pas structurée pour favoriser le réemploi ». « Aujourd’hui, on a besoin que les projets tels que celui d’Eclosia se multiplient afin que les conditions qui permettront la création d’un marché et de filières d’économie circulaire émergent. » Aujourd’hui il existe encore des verrous à la massification des pratiques de construction qui privilégient le réemploi des matériaux. Il reste difficile d’assurer des matériaux issus du réemploi, car correspondant à des techniques « non courantes » et pour lesquels on ne dispose que de peu de retours d’expérience. La sécurisation des opérations de construction basées sur du réemploi et la structuration des filières associées constituent des prérequis essentiels à sa démultiplication.

Le projet « Eclosia Parc » a été lauréat du fonds friche de l’ADEME en 2021.

Un observatoire de la reconstruction

Les activités du BTP génèrent chaque année 8 millions de tonnes de déchets en Pays de la Loire. Ce vivier peut alimenter de nouveaux projets de construction. Pour encourager la dynamique, la Région et l’Etat ont missionné la CERC (Cellule Economique Régionale de la Construction) pour la création de l’Observatoire des projets de déconstruction.
Grâce à la RE 2020, donneurs d’ordre et maîtres d’œuvre demandent davantage de réemploi sur leurs projets. Mais la massification du réemploi nécessite également la formation des professionnels. C’est ce qu’explique Jihen Jallouli, administratrice bénévole de Matière Grise, association située à Angers, qui offre une seconde vie aux matériaux du bâtiment. « La clé du réemploi c’est le maintien en l’état », explique-t-elle. Former les démolisseurs – qui ne portent pas ce nom par hasard ! – à déposer soigneusement les matériaux de bâtiments déconstruits, est un enjeu.

Quand un centre de nuisances devient un centre de ressources

Dans un atelier de maintenance ferroviaire, limiter au maximum les nuisances s’inscrit dans une logique réglementaire. « Ce faisant, on oublie qu’on a aussi des ressources et des impacts potentiellement positifs sur notre environnement, au-delà de notre cœur d’activité », souligne Olivier Le Port, directeur du Technicentre du Grand Blottereau, à Nantes.
En poussant la réflexion, le Groupe a identifié des potentiels de coopérations territoriales. Concrètement, l’entreprise a procédé à l’identification de ses actifs, du plus au moins évident. Puis elle a enquêté auprès des structures environnantes, pour lister leurs besoins. Avant, enfin, d’imaginer ensemble des coopérations. Un exemple ? La récupération de l’eau pluviale issue des toitures et des eaux de ruissellement de son parking, préalablement traitées, pour les mettre à disposition d’un parc et d’un lycée voisins. « Nous disposons également de 2 000 m² de toitures disponibles pour accueillir des panneaux photovoltaïques. L’idée étant de réduire toute concurrence entre production d’énergie et production agricole, nous concentrons les installations énergétiques dans des espaces artificialisés, non adaptés aux cultures ».
Plus originale, la collecte d’urine. Cette dernière contient des minéraux tels que l’azote, le phosphore et le potassium, indispensables à la croissance des végétaux ! L’équipe du Technicentre s’est rapprochée de l’entreprise Toopi Organics, qui valorise le liquide en une solution de fertilisation naturelle à destination des agriculteurs et agricultrices.
Enfin, le caractère très contraint du site, avec ses voies ferroviaires, laisse peu de place à la végétation. Il demeure un réel enjeu à maintenir et préserver une continuité écologique avec les espaces environnants. Le rapprochement avec la LPO 44 et Bretagne Vivante permet de travailler sur la reconstitution des habitats favorables aux espèces présentes sur le site.

Ces premières expériences poussent les équipes SNCF Voyageurs du Technicentre à élargir l’étendue des coopérations, afin que soient valorisés d’autres matériaux qu’elle collecte.

Le reflex de la coopération

Créé en avril 2021, Reflex est né de la réunion de quatre structures nantaises. Spécialistes du compostage local et de l’anti-gaspillage alimentaire, elles opèrent à des échelles variées.
L’objectif de ce groupement : valoriser le plus localement possible les restes alimentaires des professionnels, collectivités et des habitants. Renate Schäfer est directrice de projet et de développement de Reflex.

Quel est le moteur de cette coopération ?

Renate Schäefer — Pour commencer, c’est une vision partagée. Nous désignons les restes de nos assiettes, les épluchures et les invendus alimentaires non plus comme des déchets mais comme de la « bioressource » que nous sommes en mesure de préserver et valoriser localement. Le déchet, on s’en débarrasse. La ressource, on en prend soin.

L’ingrédient incontournable pour qu’une coopération fonctionne ?

RS — Un cadre sécurisé dans lequel chaque membre de Reflex peut être en confiance et apporter son expertise en complémentarité aux autres. Nous avons investi du temps collectif pour poser les bases de notre coopération et pour développer ensemble une offre de services complète. C’est cette interconnaissance qui fait la force de Reflex. Le résultat, ce sont des solutions sur mesure qui agrègent nos différentes expertises. Nous travaillons à la fois avec les collec- tivités, entreprises, associations et habitants, qui ont chacun des besoins différents. Nous avons également bénéficié d’un accompagnement par les Ecossolies, réseau local des acteurs de l’économie sociale et solidaire.

Et après 2 années d’existence du projet, quel bilan tirez-vous ?

RS — Notre logique de territoire et notre approche systémique autour de la matière organique sont plus pertinentes que jamais. L’avenir est dans la coopération fertile des parties prenantes d’un territoire donné.
Aussi, le succès de projets qui s’inscrivent dans l’idée d’une économie circulaire se mesure difficilement à l’aune des indicateurs classiques de performance. Chez Reflex, notre objectif premier est d’accompagner nos clients-partenaires dans la réduction à la source de leurs restes alimentaires, avant même de les composter. Nous y parvenons grâce à notre expertise dans l’anti-gaspillage alimentaire qui fait partie intégrante de notre approche. « Moins, c’est mieux », pour ainsi dire. C’est une forme de performance inversée. Pour rendre celle-ci visible, nous avons à inventer – collectivement – de nouveaux indicateurs.

Activer le potentiel des solutions fondées sur la nature

Il n’y a pas que la techno dans la vie. Les solutions d’adaptation fondées sur la nature (SafN) entendent répondre aux défis tels que le changement climatique, en prenant appui sur les services écosystémiques assurés par la nature. Ces SafN ont été définies en 2016 par l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) comme des actions visant à protéger, restaurer et gérer de manière durable les écosystèmes. Elles ont pour objectif de préserver la biodiversité et assurer le bien-être humain face aux enjeux du dérèglement climatique : îlots de chaleur, submersion marine, inondations, etc. Elles recouvrent des réalités diverses : végétalisation d’un espace en friche, protection des forêts, modification de la gestion des inondations. En Pays de Loire, on compte 12 projets de solutions d’adaptation fondées sur la nature.

3 questions à Cyril Roussel

Animateur régional « Solutions d’Adaptation Fondées sur la Nature », au sein de l’Office français de la biodiversité (OFB), Cyril Roussel témoigne d’un projet emblématique en baie de l’Aiguillon (Vendée).

1/ Pourquoi avoir ciblé la baie de l’Aiguillon ?

Cyril Roussel — Ce vaste ensemble naturel, riche d’une biodiversité exceptionnelle, accueille près de 100 000 oiseaux migrateurs chaque année. C’est un lieu propice à l’observation. Par ailleurs, cet espace est impacté par l’abandon progressif des concessions ostréicoles, qui entraîne la prolifération d’huîtres japonaises sauvages sous la forme de « crassats ». Leur sédimentation contribue à la réduction de la surface des vasières.
Proche d’espaces urbains et de parcelles agricoles, la baie joue également le rôle d’une éponge à deux niveaux. Elle absorbe, d’une part, les pressions liées aux activités humaines : étalement urbain, pratiques agricoles mécanisées et utilisatrices d’intrants chimiques. D’autre part, les épisodes de submersions marines inondent la zone et y déposent des sédiments.
À l’image d’une éponge, à force d’absorber ces pressions, la baie s’est dégradée. À terme, les capacités de la zone à absorber les chocs climatiques auxquels nous serons confrontés, sont remises en cause.

2/ En quoi consiste le projet ?

CR — Un panel d’actions a été mené, avec pour objectif de restaurer et de préserver la baie. Des vasières ont été restaurées par l’enlèvement et le broyage sur place des supports utilisés pour la culture d’huître, colonisés sauvagement par l’huître japonaise – technique encore inédite jusqu’alors. Une digue de front de mer a été déplacée pour rendre des hectares de terrain à l’océan.

3/ Quel est le bilan ?

CR — 162 hectares ont été restaurés et préservés. La mise en retrait de la digue a permis de reconstituer un espace. Régulièrement inondé, celui-ci constitue désormais une protection naturelle face à la montée des eaux et aux submersions marines. Lorsqu’ils sont en bonne santé et fonctionnels, les écosystèmes naturels contribuent au bien-être humain et assurent des services tels que l’absorption du CO2, la purification de l’eau ou la pollinisation.
Le projet a également des retombées socio-économiques. 75% des dépenses ont été effectuées auprès d’acteurs proches, en Vendée, dans les Deux-Sèvres et en Charente-Maritime. Il comporte, en outre, des co-bénéfices pour les loisirs, les services culturels, l’activité mytilicole… Il a, enfin, permis la structuration d’une filière de traitement des crassats d’huîtres.

Baie de l’Aiguillon en Vendée @Shootvideo

Quels financements pour réinventer notre territoire ?

Financer la transition écologique, ce sont des besoins d’investissement de l’ordre de 2 à 4% du PIB par an, selon le Conseil Économique Social et Environnemental (CESE). Rénovation énergétique, énergies renouvelables, mobilités, eau… Pour réorienter notre économie et nos emplois, pour réduire notre dépendance aux fossiles et limiter nos impacts sur les ressources et la biodiversité, les besoins en investissement s’accumulent. Comment articuler l’action des acteurs privés et publics pour assurer le financement de la transition écologique ? L’Institut de l’Economie pour le Climat (I4CE) suggère d’activer l’effet levier dont disposent les acteurs publics. Leur capacité à octroyer des subventions ou des garanties permet de réorienter les investissements et in fine, favorise la transformation des acteurs économiques. Encore faut-il un cadre clair. Parmi d’autres, c’est ainsi ce que réclame la filière hydrogène.
« Nous avons eu de grands discours politiques sur ce sujet il y a quelques années. Mais l’enthousiasme s’est peu à peu érodé, mettant un coup de frein aux investissements. Pour bien évaluer les débouchés et le retour sur investissement, les filières ont besoin de se projeter », souligne Stéphane Drobinski, directeur général de la CCI des Pays de la Loire. Bienvenue dans l’ère de la planification économique et écologique.

3 questions à Mona Delteil

Chargée de projets chez Ruptur’

1/ Qui participe à la démarche ?

Depuis 2019, 19 entreprises nous ont rejoint. Elles sont de toutes tailles et représentent des secteurs d’activités très divers : BT, industrie, services.

2/ Quel est l’objectif recherché ?

Tout d’abord, comprendre leurs impacts environnementaux et sociaux et les objectiver en les intégrant à une fonction essentielle de la gestion d’entreprise. Certaines entreprises participent également à la démarche pour mobiliser en interne ou encore initier un dialogue avec leurs parties prenantes.

3/ Que change la comptabilité en triple capital ?

En plaçant les questions environnementales et sociales au même niveau que les questions financières, il y a des chances pour que les décisions adoptées soient différentes ! Quand on sait que le développement d’une entreprise repose, dans les modèles traditionnels sur la croissance des volumes, objectiver l’impact de cette croissance sur les équilibres naturels, selon une logique de comptabilité, est une première approche pour matérialiser ce qui était auparavant invisible. C’est un levier de transformation du modèle d’affaires.

Quelle(s) valeur(s) pour les écosystèmes naturels ?

Comment mesurer l’ensemble des impacts positifs et négatifs d’une organisation et évaluer le rythme de transformation du modèle ? C’est l’objet d’un chantier initié par l’association Ruptur, en 2019, sur la comptabilité en triple capital des entreprises. L’idée consiste à intégrer au bilan comptable d’autres éléments d’évaluation, qui portent sur la destruction, création ou la régénération de capital environnemental et social.De fait, les organisations retirent des bénéfices directs ou indirects du capital naturel, grâce aux services écosystémiques produits par celui-ci. On peut citer la pollinisation, la préservation de la qualité de l’eau, la protection contre les catastrophes naturelles, l’accès aux ressources, renouvelables ou non. Ces notions sont peu comprises et, a fortiori, peu prises en compte par les acteurs économiques. La rupture du lien entre les activités économiques et le vivant explique notamment cet état de fait. Or, l’état dégradé de nos écosystèmes naturels expose les activités humaines de nos territoires à des chocs (lire le chapitre « Là où nous vivons »).
Dépendantes des écosystèmes, qu’elles impactent en retour, les organisations ont donc intérêt à objectiver leurs interactions avec les systèmes naturels : le diagnostic est clé, pour agir à bon escient et opérer d’éventuelles mutations économiques. Sur ce plan, le bilan carbone a fait sa place dans le paysage extra-financier. Il fait l’objet d’une obligation réglementaire partielle. La quantification des impacts des organisations sur la biodiversité ou les ressources est, elle, à la remorque du mouvement. La comptabilité en triple capital peut contribuer à combler ce retard.

Des formes renouvelées de mécénat

Dans l’attente d’évolutions réglementaires à la hauteur des enjeux, le financement volontaire de projets de capture de carbone se développe. De nombreux acteurs émergent. L’association Solenat a choisi de mettre en relation entreprises, agricultrices et agriculteurs, pour développer des projets de plantation de haies au sein de parcelles agricoles. Les premiers projets sont déployés sur les territoires pilotes du Pays de Mauges (Maine-et-Loire) et du Pays de la Vallée de la Sarthe. Labellisés « bas-carbone », ils permettent aux entreprises de contribuer à la résilience du territoire, avec un impact positif pour le climat, l’eau et la biodiversité.

Agribest et la mutation des pratiques agricoles

69% de la surface régionale est constituée de terres agricoles. Les Pays de la Loire disposent ici d’un potentiel inestimable pour renforcer les services écosystémiques. Actuellement, nous valorisons essentiellement la fourniture d’aliments pour les besoins humains. Or, l’agriculture peut jouer un rôle dans le stockage de carbone et dans la restauration de la biodiversité, à condition de modifier les pratiques actuelles, vers un modèle régénératif.
Comment aider le monde agricole à comprendre les interactions entre pratiques culturelles et état de la biodiversité ? Pour répondre à cette question, la CDC Biodiversité et La Coopération Agricole Ouest ont développé l’outil Agribest, dont la sortie est prévue en mai. Cet autodiagnostic est mis à disposition gratuitement pour évaluer la performance du monde agricole en matière de préservation de la biodiversité. Agribest doit permettre d’améliorer les connaissances en matière suivi d’espèces et de mieux évaluer les effets, et les co-bénéfices, d’actions menées en faveur de la biodiversité.

Propositions

  • Mettre en place un outil régional de financement de la régénération écologique
  • Encourager les expériences de triple comptabilité
  • Former et inciter les acteurs éco- nomiques à s’approprier et s’ap- pliquer l’objectif de Zéro artificia- lisation nette (ZAN)
  • Favoriser l’expansion du marché du réemploi

Sommaire du Livre Blanc

  • Préambule
  • Résumé à l’attention des gens pressés
  • Chapitre 1 : là où nous vivons
  • Chapitre 2:  ce que nous faisons
  • Chapitre 3 : celles et ceux qui inventent
  • Chapitre 4 : les défis de la régénération
  • Compléments à la version papier
  • Références méthodologiques
  • Remerciements aux partenaires
  • Liste des personnes interviewées
  • Glossaire
  • Notes bibliographiques

Aller plus loin avec le programme Regenerate

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