Comment traiter l’eau, ressource vitale, en économie circulaire

Points de vue

Nous avons franchi la sixième limite planétaire. Celle du cycle de l’eau douce. Partout sur notre planète, on sonne l’alarme. La disponibilité de cet élément essentiel à la vie des espèces et des écosystèmes est questionnée. Pendant ce temps, notre modèle d’eau potable conduit à tirer 11 litres par chasse d’eau… La réutilisation des eaux « non conventionnelles » va devenir une évidence. Et un enjeu socio-économique majeur pour tous les territoires et entreprises. Explications avec Pascale Guiffant, à l’occasion du World Impact Summit.

Eau et économie circulaire : quelles solutions ?

Comment généraliser une consommation et une gestion de nos eaux usées afin de limiter la pression sur nos sources ? Quelles innovations fonctionnent à ce jour et comment faire pour les déployer à une plus grande échelle ? Et comment débloquer les verrous sociologiques et réglementaires afin de faire passer des projets pilotes en projets d’envergure ?

Pascale Guiffant, co-fondatrice d’Open Lande, est très impliquée sur le sujet de l’eau et de l’assainissement.

Pascale Guiffant, cofondatrice et directrice générale d’Open Lande, s’implique également sur le sujet de l’eau et de l’assainissement. Elle est vice-présidente du Toilet Board Coalition, collectif privé-public qui œuvre pour accélérer l’économie de l’assainissement. Pascale siège également au conseil d’administration de Sanergy. Cette entreprise sociale favorise l’accès durable à un système d’assainissement de qualité dans les bidonvilles. Enfin, elle a piloté, au sein du groupe Suez, le programme Eau pour tous. Celui-ci a connecté 14 millions de personnes à l’eau potable.

Voici quelques morceaux choisis de son intervention au World Impact Summit, disponible en vidéo dans sa totalité.

« Des standards techniques conçus de façon linéaires et pas circulaires »

« Il est important de faire le distinguo entre l’usage de l’eau économique – par les industries, par les agriculteurs etc.. – et l’usage de l’eau en tant que service public. Pour autant, le constat est évident. Ces deux types de services, aux chaînes de valeur différentes, sont conçus de manière linéaire et pas du tout de manière circulaire. Les standards techniques ont d’abord répondu à un objectif premier, tel que l’hygiène pour le service public. Ce n’est que récemment qu’ils s’ouvrent petit à petit aux enjeux de réutilisation ou même de décarbonation. 

Répondre à ces enjeux nous demande de repenser les services d’eau sous l’angle des trois axes de l’économie circulaire :

  • sobriété et écoconception,
  • consommation durable,
  • traitement des déchets produits.

« Il faut généraliser une démarche d’empreinte eau à la manière des bilans carbone »

« On parle beaucoup des agriculteurs, on parle moins de l’industrie. Très peu d’entreprises se penchent réellement sur la question de leur empreinte eau.

Elles s’intéressent essentiellement aux pollutions liées à des réglementations environnementales qui dépendent des pays, du niveau de réglementation, des exigences…

Il existe très peu d’initiatives d’identification de l’empreinte eau des activités de l’entreprise ou de l’entièreté de sa chaîne de valeur, c’est-à-dire en amont et en aval. Je plaide pour qu’on généralise des outils inspirés du bilan carbone pour l’eau. En effet, ils permettent de comprendre où et comment on prélève cette ressource précieuse.

C’est également une problématique qui s’aborde de façon territoriale : les chaînes de valeur s’ancrent localement. Elles créent des pressions sur la ressource, qu’il s’agisse de prélèvement ou de pollution. Elles créent également des pressions dans la gestion institutionnelle des bassins versants des territoires.

Il s’agit donc bien de sujets de gouvernance et de contribution au bien commun. Nous devons les intégrer aujourd’hui. »

eau ressource circulaire
« Force est de constater qu’il y a très peu d’entreprises qui se penchent réellement sur la question de leur empreinte eau »

« On ne peut pas généraliser le modèle français de chasse d’eau à 11 litres d’eau potable »

« Aujourd’hui dans le monde, 800 millions de personnes n’ont encore pas accès à une eau potable de qualité. 2,4 milliards de personnes n’ont pas accès à un assainissement. On ne pourra pas offrir un accès tel qu’on le connaît en France. Nous consommons onze litres d’eau potable à chaque fois que nous tirons la chasse d’eau. Dans un contexte de raréfaction des ressources et de changement climatique, nous avons besoin de travailler sur l’écoconception des services. Comment peut-on questionner nos standards ? Comment va-t-on designer des services innovants dans les villes, qui permettront à la fois d’éviter les impacts sur la ressource mais aussi de valoriser l’assainissement ? »

« L’exemple d’un système vertueux d’assainissement dans les bidonvilles de Nairobi »

« Je suis partie-prenante d’une entreprise basée à Nairobi au Kenya : Sanergy. Elle fournit des services d’accès aux toilettes dans les bidonvilles de Nairobi. Les boues d’assainissement sont récupérées via un système qui se rapproche de la collecte des déchets. On les valorise en compost. Dans ce dernier, on élève des vers qui seront ensuite grillés et servis à des cochons ou des volailles. Ces boues d’assainissement qui rejoignaient initialement la petite rivière proche du bidonville sont alors valorisées dans un système vertueux. Cette solution répond à la fois à la question de l’impact écologique et à la question de l’hygiène et de l’accès aux services essentiels, un droit humain fondamental. »

bidonvilles de Nairobi »
bidonvilles de Nairobi »

« Requestionner les standards technologiques d’aujourd’hui »

« Nous avons un enjeu de transformation de ce qui existe dans nos pays : comment on va réutiliser de l’eau, comment on va limiter la consommation… Je vous donne l’exemple de la ville Phnom Penh au Cambodge, qui affiche seulement 8% de perte en eau sur son réseau. Ce résultant est meilleur que bien des villes françaises.

L’autre enjeu, c’est d’étendre l’accès à ces services et de le faire différemment :

  • avec des projets et des techniques écoconçus,
  • en répondant à la culture et aux usages des personnes qui vont en bénéficier,
  • mais aussi en requestionnant tous les standards technologiques. »

« Les métiers liés à l’eau sont fantastiques mais ils doivent se transformer »

« Je trouve que les métiers liés à l’eau sont des métiers absolument fantastiques. Vous l’avez compris, j’ai mon petit cœur qui bat quand j’en parle. Mais je crois qu’aujourd’hui, on a besoin de la volonté des gens qui travaillent dans ce secteur pour qu’ils fassent évoluer leur métier et pour faire face aux enjeux d’adaptation. Nous sommes dans un monde qui change. Les enjeux de changement climatique sont en train de transformer les territoires sur lesquels on vit, la façon dont on va travailler, la façon dont on va vivre… Tous les métiers autour des enjeux de l’eau (agriculture, industrie, services publics) doivent ouvrir des espaces d’innovation et de collaboration avec d’autres acteurs.

eau ressource circulaire
« L’enjeu : designer des services innovants dans les villes, qui permettront d’éviter les impacts sur la ressource mais aussi de valoriser l’assainissement. »

« La nécessaire volonté politique »

« Nous sommes en face d’un problème systémique Sans volonté politique, on ne va pas y arriver. Tous les projets d’eau réussis sur les aspects circulaires ne sont passés à l’échelle qu’avec une volonté politique forte. »


Le replay dans sa totalité


Quelques chiffres

  • Seulement 2,5 % de l’eau présente sur Terre est de l’eau douce.
  • Environ 40 % de la population mondiale vit dans des zones qui rencontrent des problèmes d’approvisionnement en eau. D’ici à 2050, près de la moitié de la population mondiale vivra dans des zones où l’eau sera une denrée rare.[1]
  • Par ailleurs, 800 millions de personnes n’ont pas accès à une eau potable de qualité et 2,4 milliards de personnes n’ont pas accès à un assainissement.[2]

[1] Source : rapport 2019 des Nations unies (ONU)


[2] Source :  https://freshwaterwatch.thewaterhub.org/fr/content/leau-une-ressource-limitee

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